Cette année, au travers de notre programme, nous voulons interroger les rapports qui existent entre les textes et la musique, ces deux éléments étant l’essence du chant choral. Comment les compositeurs se confrontent-ils aux paroles qu’ils doivent mettre en musique ? Vont-ils renforcer celles-ci par celle-là, vont-ils au contraire s’en éloigner, s’y opposer… ?
Notre programme commence par « 4 motets de la Passion » de Franz Schubert. Aujourd’hui, un motet désigne toute pièce religieuse qui n’appartient pas à l’ordinaire de la messe. Il tient son origine des moines du moyen–âge qui cherchaient à retenir les vocalises qui ornaient leurs chants. La plupart du temps, ils devaient les apprendre par cœur. Ils ont alors utilisé un moyen mnémotechnique qui a consisté à ajouter des « petits mots » (motets) à la mélodie qui originellement se déroulait sur une voyelle. Dans l’exemple du motet anonyme « Prenez y garde », du XIIème au XIVème siècle cette technique a permis de développer la polyphonie en juxtaposant des mélodies sur une teneur liturgique donnée.
Au XVIème siècle, dans la dernière partie de la Renaissance les compositeurs ont écrit des musiques sur leurs propres textes ou empruntés à des poètes renommés comme Clément Marot, Pierre de Ronsard. Ces textes pouvaient être légers et aller jusqu’à la grivoiserie. Cette « Chanson française » comme elle sera nommée, illustre le souci des compositeurs à vouloir que leur musique soit une illustration du texte. En cela, elle préfigurera le madrigal italien et anglais de la toute fin du XVIème et du début du XVIIème siècle. Nous écouterons trois exemples qui montrent comment Claudin de Sermisy, Pierre Certon et Clément Janequin illustrent un phénomène social véhiculé par les mots : le qu’en dira-t-on. Seront enchaînées les chansons polyphoniques suivantes : « Vous perdez temps de me dire du mal d’elle », « La, la, la, je ne l’ose dire » et « On vous est allé rapporter ».
Toujours à la fin de la Renaissance, dans « Verbum Caro », Roland de Lassus s’est confronté musicalement à un mystère décrit au début de l’Évangile de Jean où le verbe s’est fait chair. Ainsi, les mots pourraient être incarnés. Voyons comment cette incarnation est traduite en musique.
Marcello Benedetto, vers 1715, composera lui une musique sur le Psaume XVIII où les cieux narrent la gloire du tout-puissant : « I cieli immensi narranno ».
Redescendons sur terre avec un chant traditionnel du Nivernais harmonisé par Bernard Lallement où une mère demande prosaïquement à sa fille, « Dis-moi ma fille veux-tu z’un bonnet ? ». Nous sentirons alors combien le chant traditionnel de France est ancré dans la danse et dans la terre.
Les trois pièces que nous interpréterons ensuite peuvent à certains moments confiner au vertige. Comment illustrer musicalement le non-sens et le surréalisme ?
Prenons l’exemple de Jacques Barathon, un Deux-Sévrien qui a mis en musique un texte d’Alphonse Allais, « Tout au fond ».
Déjà vers 1780 William Billings dans « Jargon » se confronte de manière très intéressante à un texte rejetant l’harmonie et glorifiant la dissonance. Deux par deux les voix restent consonantes, toutes ensembles aboutissent-elles au chaos cacophonique ? A vous de voir.
Avec André Minvielle et ensuite avec Étienne Perruchon, nous atteignons le degré, ultime selon les uns, ou zéro pour d’autres, du langage. En effet, tous les deux inventent une langue qu’ils sont seuls à comprendre. Dans « Paradina », nous assistons à une sorte de combat entre chaque voix. Certaines étant mesurées en deux noires par mesures et les autres en trois. Cependant André Minvielle arrive à construire un équilibre polyphonique et polyrythmique certes difficile à conserver. « Paradina » sera suivi d’ « Amis de Mots », pièce d’André Minvielle qui a donné son titre à notre programme. Ici comme dans d’autres pièces, l’auteur-compositeur joue avec les mots et leur musique pour livrer un discours qui peut prendre plusieurs sens pour l’auditeur
Dogora est un poème symphonique écrit par Étienne Perruchon. Voyons ce qu’il en dit : « J’ai toujours été attentif au rapport entre le texte et la musique. La musicalité des mots m’importe, elle induit un sens à elle seule. C’est pourquoi, après avoir travaillé sur des chansons avec des paroliers, sur des contes mis en musique et sur bien d’autres choses, j’ai fini par inventer un langage imaginaire qui regrouperait toutes les influences vocales européennes au sens le plus large du terme. Je me suis inspiré de toutes les consonances pour générer un langage imaginaire, un « trompe-l’oreille ». La mélodie des mots devait être si forte qu’elle donnerait un sens aux phrases. J’ai construit des refrains, des couplets, des leitmotivs qui reviennent comme des mots-clés pour former un discours cohérent qui puisse se lire comme un vrai langage. Le Dogorien permet aux chanteurs et aux auditeurs de toutes confessions et de toutes cultures de mettre un sens personnel et universel à ces chants. »
Quand, en 2004 le réalisateur Patrice Leconte à découvert DOGORA dans sa première version de 28 minutes de 2000, Étienne Perruchon lui a fait part de son rêve d’associer des images à cette musique. L’enthousiasme du réalisateur pour l’œuvre n’a fait qu’accentuer ce désir. Décision était prise qu’un film pourrait être fait si l’œuvre était réécrite pour qu’elle dure 70 minutes. Ce sera un film musical sans acteur et sans scénario avec pour seul guide la musique.
Nous en donnerons des extraits a capella : Kourni, Dogora, Koshni, Viniashto Mi, La Vidjamé, Donia et Souchänishka.
David Rambaut